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Quaint Cove
Chapitre 1


Elle courait à en perdre haleine dans un dédale de couloirs sombre. Des gouttes d’humidité sourdaient des jointures des pierres centenaires formant les murs. Une torche de ci de là lui permettait de se repérer. Ses pieds nus battaient une terre battue froide, créant un nuage de poussière dans son sillage. Elle ne le voulait pas, mais inconsciemment elle se retournait pour apercevoir son assaillant, ralentissant de même sa fuite. Invisible mais indéniablement présente, la chose la poursuivait, son souffle chaud créant une émanation extraordinaire de volutes blanchâtres.
En se retournant une fois de trop la jeune femme trébucha sur une saillie du sol. La chute fut brutale et elle ne parvenait pas à se relever. Elle décida de ramper, d’avancer coûte que coûte ! Il ne fallait pas que tout s’achève ainsi, elle ne voulait pas mourir… Une brûlure insoutenable à la cheville lui arracha un hurlement de douleur. Elle se tourna sur le dos, intensifiant sa souffrance, pour se libérer. Un tentacule noir et fumeux, tel un concentré d’émanations de charbon, s’était enroulé autour de sa cheville et tentait de remonter vers ses cuisses. Elle eut beau essayer de griffer ou de se débattre, l’emprise n’en était que plus profonde et cuisante.
La chose se rapprocha, doucement, voluptueusement vers sa victime dorénavant à sa merci. Tout d’abord elle ne vit qu’un nuage sombre, sans forme distincte, mais lorsque que l’ennemi passa près du halo dansant d’une torche, la lumière fut absorbée et un contour se dessina. La jeune femme crut s’évanouir mais cette chance ne lui fut pas donnée. Elle ne pouvait que contempler, impuissante, sa mort s’approcher inexorablement.
Deux yeux rouges surdimensionnés sortirent du brouillard et fondirent sur elle. La bouche grande ouverte en un cri silencieux, sa tête retomba bientôt mollement en arrière, révélant des yeux blancs révulsés.

Aby se réveilla en sursaut dans son lit. Moite de la tête au pied, tremblant de tout son corps et encore sous le choc du cauchemar. La pâle lueur de l’aurore perçait les stores de sa chambre, dévoilant le bal dansant des poussières environnantes. Elle s’assit, prit sa tête entre ses mains et tenta de reprendre ses esprits. Encore ces maudits cauchemars incompréhensibles. Les rêves avaient toujours eut une grande importance dans sa vie, mais ces derniers mois les fantasmagories nocturnes avaient pris un ton de violence et de cruauté tel qu’elle se retrouvait toujours au bord de la nausée en se levant. Le genre de rêve qu’elle avait laissé derrière elle en partant… en partant loin de son passé.

Une main fraîche posée sur son épaule la fit sursauter. Aby se retourna et vit le visage, certes encore ensommeillé de son mari, mais surtout inquiet. Lui aussi passait indirectement des nuits courtes et agitées à cause de ces mauvais rêves mais il ne faisait montre d’aucune contrariété et passait parfois le restant de sa nuit à bercer sa femme dans ses bras, la rassurant et la cajolant.
Il l’attira à lui et lui murmura des paroles douces à l’oreille. Aby se lova au creux de ses bras et laissa couler ses larmes. Elle se sentait si fatiguée et était las de ne pas comprendre. Elle ne voulait pas se résigner à prendre des somnifères pour passer une nuit sans rêves, pour elle ceux-ci avaient un but, une raison d’être… qu’elle ne parvenait pas à comprendre.
Aby finit par se rendormir pelotonnée contre le gardien de ses nuits et passa les quelques heures restantes dans un sommeil serein.

Ce fut la sonnerie stridente du téléphone qui l’a sorti de nouveau du sommeil. Elle pris le temps de s’étirer comme un chat avec de descendre de la mezzanine pour attraper le combiné.

-Allô ! Dit-elle la voix encore tout ensommeillée.
-Melle DeBardis ? Demanda une voix d’homme.
- Oui ? Répondit-elle soupçonneuse. Son cœur accélérait toujours lorsqu’elle entendait prononcer ce nom. Depuis son mariage elle avait enfin pu s’en débarrasser, avant cela elle avait banni le « De » qu’elle trouvait prétentieux et tape à l’œil. Pendant une fraction de seconde Aby fut tentée de raccrocher, de couper court avant même de savoir de quoi il en retournait. Il ne pouvait s’agir de bonnes nouvelles de toute façon.
-Mademoiselle, ici Henry du manoir Bardis, je vous …
-Henry ?! Aby n’avait pu se retenir de crier dans le combiné. Je n’avais pas reconnu votre voix, cela fait si longtemps !
-Mademoiselle DeBardis, je suis si heureux de pouvoir vous reparler à nouveau, mais mon cœur de vieil homme saigne de le faire dans une telle circonstance.
Le cœur d’Aby sauta un battement dans sa poitrine, sa respiration se fit plus rapide, tout son corps se tendait déjà vers l’inéluctable annonce.
-Monsieur DeBardis senior nous a quitté. Nous souhaiterions votre venue pour les obsèques, et permettez un humble serviteur d’ajouter que votre venue sera la seule consolation à sa peine.
-Henry… Je… bien sur…je viendrai.

Et ils raccrochèrent. Voilà tout ce qu’elle avait pu dire après ce choc. La seule personne de sa famille comptant à son cœur, son grand-père, venait de la quitter. Elle se reprocha de ne pas l’avoir senti, de ne pas l’avoir su.

Aby se précipita à son bureau, balaya d’un geste rageur tout ce qui s’y trouvait, et trouva enfin le petit coffre en bois. Elle du s’y reprendre à plusieurs fois avant de parvenir à l’ouvrir tant ses mains tremblaient. Une pile d’enveloppes le remplissait, toutes rigoureusement identiques et couverte de la même écriture déliée et quelque peu stylisée. Elle pris fébrilement la première en haut de la pile, la caressa sur son tranchant et examina le cachet de la poste. Elle datait de trois semaine… trois semaines et elle ne s’étais rendu compte de rien… Son grand-père, réglé comme une horloge suisse, lui faisait parvenir tous les quinze jours une de ces enveloppes. Et bien tous les quinze jours, pas seize ou douze. Quel que soit le temps ou les préavis de grève de la poste, cette lettre, ce petit rayon de soleil atterrissait dans sa boite aux lettres. Mais voilà, trop préoccupée par sa petite vie elle n’avait pas fait attention à ce genre de détails récemment, et n’avait pas cherché le contact autrement … Les larmes débordèrent soudain de ses yeux, telle une source jaillissante et Aby fut persuadée qu’elle s’en voudrait désormais toute sa vie.

Aby passa les deux heures suivantes, allongée en pyjama sur son canapé, à fixer le plafond à travers le brouillard de ses larmes. Elle aurait tant voulu que Peter soit près d’elle en cet instant, mais il était déjà parti à la présentation de son séminaire et elle ne se sentait pas encore le courage de lui annoncer la nouvelle…et tout ce qui en découlerait.
Aby n’arrivait pas à concevoir la mort de son mentor, de celui qui était sa seule réelle famille …sa mort … mais mort de quoi ? Elle réalisa qu’à ce moment précis qu’elle ne savait rien de plus. Certes il n’était plus tout jeune mais sa santé physique était encore excellente et son intellect intact … enfin de ce que qu’elle en savait à travers ses lettres.
Elle repensa soudain au manoir familial et la mélancolie la gagna. Elle ne voulait pas y retourner, presque dix ans s’étaient écoulés depuis son départ. Aby avait coupé les ponts avec tout le monde, et ne voulais plus de ce milieu où elle se sentait si étouffée et révoltée. Leurs mentalités étriquées, leurs vies sans passions. Tout ! Tout y était ennuyant !

Ses nuits de cauchemars, ses sensations d’oppressions lui revinrent en mémoire et un instant Aby fut tentée de ne pas y aller. Elle ressentait un étrange malaise dans cette grande demeure. Elle y était pourtant née, au sens propre, en plein milieu du salon, en connaissait les moindres recoins, jouant du grenier à la cave, dans les jardins entretenus et ceux poussant sauvagement. Et malgré tout, elle ne s’y était jamais sentie à l’aise. Un frisson parcouru son échine à la remémoration de tous ces souvenirs.

Il ne fallait pas qu’elle retombe dans la torpeur dépressive dans laquelle la mettait habituellement le souvenir de sa jeunesse. Aby arracha presque son pyjama et sauta sous une douche brûlante et délassante. Une fois les idées bien remises en place, elle s’installa devant son ordinateur et réserva un billet de train en ligne. Il lui fallait à présent prévenir l’université.
Aby était en dernière année de thèse sur les religions antiques disparues et c’est durant ses études qu’elle avait rencontré Peter. Il n’était ni étudiant, ni le vendeur de sandwich du midi, les deux solutions l’auraient arrangés, mais au contraire celui ci était son professeur. Au départ ils avaient tenté tant bien que mal de nier leur attirance respective et leurs sentiments naissant. Mais il fut rapidement indéniable qu’ils ne pouvaient continuer ainsi, Peter proposa même de quitter ses fonctions, mais Aby le convainquit qu’il s’agissait là d’une décision totalement disproportionnée et qu’il serait bien plus simple que ce soit elle qui change d’université. Ainsi fut fait et ils se marièrent dans l’année, amplifiant ainsi d’autant plus les dires des mauvaises langues et les rumeurs du milieu universitaire.
Elle laissa donc un message au secrétariat puis s’attela à boucler un sac de voyage. Peu de temps après le téléphone sonna de nouveau. Aby ne put retenir un sentiment d’appréhension en soulevant l’appareil.
- Aby ? Mon dieu mon cœur ça va ? La voix grave et rassurante de Peter lui réchauffa immédiatement le cœur.
- Oui, oui je pense. Ne t’inquiètes pas pour moi, je ne voulais pas que ta secrétaire te dérange pendant ton séminaire et…
- Aby, arrêtes ! Arrêtes de toujours penser que tu déranges ou que tu incommodes les gens. Tu es ma femme, je t’aime et tout ce qui te touche me touche aussi. Je vais poser quelques jours pour venir avec toi.
- Non ! (Aby se repris rapidement après avoir presque crié dans le téléphone) Je t’en pris laisse moi y aller en avance. J’ai tellement peur de ces retrouvailles …
- Justement, si je suis là personne ne te fera de mal.
- S’il te plait, je voudrai y aller seule, je t’appellerai pour les funérailles.
- Bien !(Une note de déception passa dans sa voix et Aby sentit son cœur se serrer) Appelles moi tous les jours, toutes les heures, tiens-moi au courant. Je n’aime pas te savoir loin de moi, seule, dans un milieu hostile qui plus est. (Une voix en fond appelait Peter)
- On t’appelle chéri, vas-y ne t’inquiète pas. Je t’aime.

Un énorme sentiment de vide envahit Aby une fois qu’elle eut raccrochée. Elle avait toujours tenu Peter à l’écart de son passé, de son ancienne vie et de sa famille. Elle se rassurait en se disant qu’elle le protégeait ainsi d’un milieu qu’il abhorrait mais en réalité elle le protégeait d’elle-même, si apeurée qu’elle était qu’il apprenne sa véritable histoire et ne la quitte.
Toute sa jeunesse Aby fut mise de coté, montrée du doigt, presque maudite. Elle n’avait obtenu un semblant de vie sociale qu’en quittant définitivement le manoir Bardis et la communauté rurale de Quaint Cove. L’université fut pour Aby une réelle bouffée d’oxygène, une seconde vie qui l’a sauva de la profonde dépression dans laquelle elle s’était enfermée. Aby n’avait que très peu de temps suivi une scolarité normale. Dès la fin de sa primaire les ennuis commencèrent et elle fut chahutée, voir frappée, par les enfants de l’école communale. Tout le monde l’évitait et se répandait en ragot à son passage, élèves comme parents et professeurs.
Elle secoua vivement la tête et se donna de petites tapes sur les joues pour ne plus penser à cela. Elle aurait bien assez de temps et de mauvais souvenir à se rappeler en logeant au manoir.
Aby acheva de préparer sa sacoche dans laquelle elle fourra tant bien que mal son portable, et les kilomètres de fils l’accompagnant, des cahiers de note pour ses recherches et quelques livres à étudier. Elle ne savait pas combien de temps elle passerait au manoir et anticipant de nombreuse nuit d’insomnie, elle préféra prévoir du travail pour s’occuper l’esprit.

Son train fut exceptionnellement à l’heure, rien ne semblait vouloir la retenir de partir de la petite vie douillette qu’elle s’était confectionné ces dernières années. Aby y grimpa donc a contre cœur, tirant derrière elle ses bagages qu’elle regrettait déjà d’avoir fait si lourd.
Le train filait à toute vitesse, dans un décor de campagne sombre. Une pluie fine s’écrasait contre la vitre qu’éclairait une lune pale. Le wagon était presque désert, seul un couple de retraité penché sur une carte de la région était présent. Aby tentait en vain de se concentrer sur un roman policier acheté sur le quai de la gare. La douce chaleur du wagon, le tangage rassurant et le chant des roues sur les rails eurent tôt fait de ses résistances et elle s’endormit la tête contre la vitre fraîche. Aucun rêve ne vinrent la perturber pendant ce cours laps de repos, probablement une de ses dernières nuits sans angoisses avant de dormir au manoir.

Une main se posa sur l’épaule d’Aby et elle se réveilla en sursaut. Le train à présent à l’arrêt commençait déjà à se remplir pour le voyage de retour. Le couple de retraité s’était donné la peine de la prévenir, il restait sûrement du bon en ce monde tout compte fait, pensa-t-elle.
La douce lumière matinale perçait un ciel ocre et nuageux. Un temps de circonstance se dit-elle. Attrapant sa valise et sa sacoche, Aby sortit sur le quai où nombres de voyageurs s’activaient en tout sens. L’air frais fini de la réveiller et de la ramener à la vie réelle. Aby fit un signe de remerciement au petit couple de retraité et se lança à l’aventure de trouver un taxi pour le manoir. Ce qui fut plus facile que prévu, même si cette épreuve, pourtant des plus simple, annonçait déjà le ton de son odyssée.
- Où je vous dépose jeune demoiselle ? Demanda le chauffeur en calant ses bagages dans le coffre.
- Au manoir Bardis à Quaint Co…
- Je vois très bien où c’est… mais je ne vois pas ce qu’une jeune femme comme vous irait faire dans cet endroit.. (Il se signa et s’installa au volant de son taxi sans attendre sa réponse.)
-Je ne le sais pas vraiment moi-même. Ajouta Aby pour elle-même avant de s’installer à l’arrière de la vieille berline.

Fin chapitre 1


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